Principales techniques de maintenance des invertébrés marins
Par Christophe SOLER

Marin et Récifal

     Depuis quelques années, la maintenance des invertébrés marins de la classe des Anthozoaires dans un milieu clos n'est plus une simple utopie mais une réalité. Parmi la multitude d'anthozoaires susceptibles d'être maintenus avec succès en aquarium comme les corallimorphaires (ex:Actinodiscus), zoanthaires (ex:Parazoanthus), actiniaires (anémones), alcyonnaires (coraux mous), un engouement tout particulier pour les scléractiniaires (coraux durs) est né. On distingue deux types de coraux durs, ceux à gros polypes comme ceux des genres Euphyllia, Caulastrea, Plerogyra, etc., réputés plus faciles à maintenir, et les coraux à petits polypes comme ceux des genres Acropora, Pavona, Pocillopora, etc., qui étaient il y a encore quelques années considérés comme impossible à tenir en aquarium et qui sont de nos jours maintenus et propagés avec succès par de nombreux aquariophiles

     Il existe plusieurs " grands classiques " en ce qui concerne les techniques de maintenance des coraux. Elles " marchent " toutes, mais toutes ne sont pas adaptées à tous les types de coraux. Cet article a pour objectif de vous présenter ces techniques avec leurs atouts et leurs limites. A vous ensuite de faire le choix de celle qui conviendra le mieux aux espèces que vous désirez maintenir et propager.

La méthode du filtre semi humide :

     Cette technique très largement répandue depuis de nombreuses années, utilise la grande efficacité de nitrification des masses filtrantes à l'air libre sur lesquelles ruisselle l'eau venant du bac. L'eau de l'aquarium provenant d'un trop plein ou d'un déversoir, se déverse dans un réservoir sous l'aquarium en traversant des masses filtrantes à l'air libre (sable de corail ou mousse synthétique) sur lesquelles les bactéries aérobies de la nitrification prolifèrent et transforment avec une bien plus grande efficacité l'ammoniaque et les ions ammonium en nitrites puis nitrates. L'eau est également très bien oxygénée grâce à la très grande surface de contact air/eau sur les masses filtrantes. Un préfiltre mécanique souvent nettoyé ainsi qu'un écumeur efficace permettent de retirer de l'eau les particules en suspension ainsi que des protéines, acides aminés, carbohydrates et lipides avant leur transformation. Notons également que l'écumeur contribue également à l'élimination directe des phosphates et aux échanges gazeux. Différentes masses filtrantes peuvent être utilisées comme les mousses synthétiques, les bioballes en plastiques ainsi que le sable de corail. Le paramètre critique du système est le rapport de la surface utile de fixation des bactéries sur le volume d'espace vide. Il faut absolument éviter un colmatage des masses filtrantes et favoriser la circulation des gaz dans celles-ci. Un rapport surface utile/espace vide élevé ira dans le sens d'une quantité de bactéries maximale et donc d'une nitrification maximale si l'oxygène est suffisamment disponible. En revanche si le rapport est vraiment trop élevé le risque de colmatage existe et les échanges gazeux seront moins importants. Un rapport surface utile/espace vide faible permettra de bons échanges gazeux mais si la surface utile est vraiment trop faible la quantité de bactéries sera trop peu importante pour subvenir au processus de nitrification complet (cela dépend de la biomasse de votre aquarium). Le meilleur substrat aura la plus grande surface possible et le plus grand espace vide possible. Le sable de corail de granulométrie assez élevée (5 mm à 1 cm) ne se colmate pas, est très poreux (donc surface élevée) et présente l'avantage supplémentaire par rapport aux matériaux synthétiques inertes de tamponner l'eau en relarguant des bicarbonates ainsi que du calcium et du strontium qui vont remplacés une partie des ions absorbés par les invertébrés.

FILTRE SEMI HUMIDE :

     Un tel système de filtration est excellent dans un bac de poissons mais inutile voir dangereux dans un bac récifal. Inutile car dans le bac récifal les pierres vivantes ainsi que le sable du bac principal suffisent à assurer à la fois les processus de nitrification et dénitrification. Dangereux parce que dans un tel système, la nitrification est tellement rapide que les déchets sont immédiatement transformés avant même que l'écumeur n'ai le temps de réagir. Cela a pour conséquence un accumulation des nitrates qui dépasse très rapidement la capacité de dénitrification du bac.Un bac récifal moderne ne comporte plus de masses filtrantes autres que les pierres vivantes et le sable de corail du fond du bac!

Méthode Berlinoise :

     C'est une méthode moderne de maintenance des coraux qui a été conçue par le club aquariophile de Berlin mené par Peter Wilkens. C'est un système naturel où la filtration est assurée par les pierres vivantes et le sable vivant (voir " les pierres vivantes dans l'aquarium récifal " Récif de l'Ain n°5), dans lequel la nature est soutenue dans sa fonction épuratrice par un certain nombre d'artifices techniques. L'élément majeur du système est sans aucun doute le ou les écumeurs. L'écumeur a pour fonction l'élimination des déchets avant leur transformation et joue pleinement son rôle dans ce système où les pierres vivantes chargées de la filtration biologique sont plus lentes à transformer les déchets qu'un filtre biologique semi humide. La présence permanente ou non de charbon actif dans le réservoir parfait le travail de l'écumeur en retirant de l'eau des molécules ignorées par l'écumeur et dont certaines sont responsables du jaunissement de l'eau. Enfin certains éléments extraits de l'eau par les invertébrés comme le calcium, le strontium, l'iode et d'autres oligo-éléments doivent être remplacés. Des solutions salines de chlorure de strontium et d'iodure de potassium sont utilisées pour le strontium et l'iode, des changements d'eau de l'ordre de 5% par mois nécessaires aux maintien des oligo-éléments et de l'eau de chaux pour le calcium.

METHODE BERLINOISE :

     L'introduction la plus commode de l'eau de chaux dans l'aquarium se fait via un réacteur à calcium. Celui-ci n'est qu'une chambre d'agitation où se mélange eau osmosée et hydroxyde de calcium (Ca(OH)2) pour former de l'eau de chaux toujours saturée en calcium. Le mélange se fait par l'intermédiaire d'un agitateur magnétique réglé de façon à ce que l'eau de surface du réacteur soit de l'eau de chaux et non pas du lait de chaux dans lequel des particules d'hydroxyde de calcium sont encore incomplètement dissoutes. L'intérêt de l'eau de chaux ne réside pas uniquement dans l'apport de calcium au système mais aussi dans le phénomène de régénération des bicarbonates donc du maintien du TAC qui résulte de l'apport des ions hydroxydes (OH-). Pour les plus chimistes d'entre vous, les réactions mises en jeu au cours de ce processus de régénération des bicarbonates sont les suivantes:

     L'acidité (ions H+) étant neutralisée par les ions OH- provenant de l'eau de chaux selon la réaction 2, la réaction 1 est déplacée vers la gauche favorisant donc la formation de bicarbonates puis carbonates à partir du CO2 dissous. Ce CO2 dissous doit être présent en quantité suffisante pour que la régénération des bicarbonates soit effective. Notons également que TAC et calcium peuvent être maintenus à l'aide d'un réacteur à calcaire qui utilise une injection de CO2 pour dissoudre du sable de corail (Voir l'article de Stéphane Fournier dans Aquarium Magazine). En conclusion sur ce chapitre Berlinois, ce système représente une technique cohérente et logique très adaptée au maintien des invertébrés les plus délicats comme les coraux durs bâtisseurs de récifs et les Tridacnes (Bénitiers). Ce procédé permet le maintien d'une eau très faiblement chargée en matière organique ainsi que des taux pratiquement nuls de nitrates et phosphates, laissant peu de possibilité à la pousse d'algues indésirables une fois l'aquarium mûr.

Méthode du Dr Adey :

     Cette technique est originale dans le sens où elle se veut naturelle et consiste à recréer un écosystème complet en ne négligeant aucune des espèces vivant dans le récif et surtout pas les algues qui sont carrément cultivées sur un " Algal Turf Scrubber " ou plateau à algues (voir schéma). Sur le plateau à algues intensément illuminé se développent des dizaines d'espèces d'algues qui sont régulièrement récoltées. Les algues absorbent les ions ammonium, nitrates, phosphates ainsi que les métaux lourds et la récolte de celles-ci permet donc le retrait du milieu de tous ces éléments. De plus ces algues abritent une multitude de micro-organismes (vers, crustacés) qui vont nourrir les habitants du bac limitant ainsi l'apport externe de nourriture. Bien qu'aucun apport direct de calcium et strontium ne soit fait, les concentrations de ces ions restent constantes sans doute à cause d'une dissolution progressive de l'aragonite due aux sécrétions acides des micro-organismes peuplant le sable.

METHODE ADEY :

La méthode Jaubert :

     C'est sans doute la technique se rapprochant le plus de la nature après celle de Lee Chin Eng qui préconisait en 1961 de mettre des invertébrés dans une cuve garnie de pierres vivantes, sans filtration aucune et dont le brassage était assuré à l'aide de larges diffuseurs. Comme dans les aquariums de Lee Chin Eng, il n'y a pas de filtre à proprement parler dans les aquariums du professeur Jaubert de l'Université de Nice-Sophia Antipolis. C'est en 1990, que pour la première fois j'entendis parler d'aquariums sans filtre. Et quels aquariums, des aquariums d'eau de mer et de coraux en plus! Ce fut un jour où je passais devant un des bureaux du bâtiment de biologie de l'Université de Nice. C'était le bureau du professeur Jaubert dont la porte était ouverte et laissait apercevoir un aquarium d'environ 2000 l dont la base était légèrement plus large que la surface. S'apercevant de mon intérêt pour son bac, le professeur Jaubert me permis d'entrer afin de voir de plus prés son oeuvre. J'étais encore loin de me douter que ce bac tournait depuis environ 10 ans sans changement d'eau aucun ni filtration classique et que le système mis en place dans ce bureau venait d'être breveté. Une discussion s'engagea alors et j'apprenais avec stupéfaction que ce bac évoluait en système fermé depuis plusieurs années et Jaubert m'assura que je pouvais me faire confirmer par ses collègues du labo que les coraux n'étaient pas changés tous les mois. Les coraux peuplant cet aquarium dont vous pouvez voir une photo dans " The reef aquarium p 147 " ou le SeaScope n°10 (1993) non seulement vivent mais se développent et se reproduisent de façon significative. Le secret de ce système le professeur Jaubert me le décrit brièvement: une couche d'eau confinée sous une couche de sable protégée du fouissage des occupants du bac par une grille (voir schéma)

METHODE JAUBERT :

     Si la couche de sable est suffisamment épaisse et la granulométrie adaptée, un gradient d'oxygène dissous va se former dans ce sable vivant. Les bactéries aérobies de la nitrification (ammonium-->nitrites-->nitrates) vont se développer dans la couche de sable supérieur tandis que les bactéries anaérobies hétérotrophes de la dénitrification (nitrates-->azote) vont s'installer dans la couche inférieur. Un tel système peut donc théoriquement s'il est bien installé avec un sable bien ensemencé, boucler le cycle de l'azote sans recours à des changements d'eau importants nécessaires à l'élimination des nitrates s'accumulants en bout de cycle. Et la réalité semble donner raison à la théorie puisque dans son bac expérimental un suivi des paramètres sur une période de quatre ans montre que la concentration de nitrates n'a pas dépassée les 0.35 mg/l avec 0.013 mg/l au bout de quatre ans! Quant au calcium, celui-ci a évolué dans une fourchette de 460 à 520 mg/l qui doit faire rêver certains d'entre nous. Inutile de préciser que cette concentration de calcium s'est maintenue sans apport externe de calcium. Jaubert suggère que la dissolution du sable de corail grâce aux sécrétions acides des micro-organismes permet le maintien de concentrations élevées de calcium et un pH variant de 7.8 le matin à 8.25 le soir. Précisons tout de même que dans ce système, le passage de l'eau n'est pas forcé à travers la couche de sable mais que les ions et les gaz circulent par diffusion passive. Les composés jaunissants l'eau semblent dégradés par un mécanisme inconnu, peut-être par les bactéries hétérotrophes de la dénitrification (nécessitant une source de carbone pour vivre). Ce système serait-il parfait ? Jaubert et al après avoir étudiés et comparés les flux de carbone et de calcium d'un pâté corallien de la Mer Rouge et du mésocosme de 40 m3 du musée océanographique de Monaco, ont conclu que les bilans de calcium et de carbone sont semblables dans les deux cas et sont caractérisés par une calcification et une dissolution très intense. Jaubert et al reconnaissent cependant que le mésocosme est tout de même sujet à une légère eutrophisation celle-ci pouvant sans doute être réduite grâce à quelques petites améliorations.

     Cette technique, bien que séduisante, demande la maîtrise de paramètres qui ne sont pas très bien définis comme l'épaisseur de la couche de sable, sa granulométrie et le type de sable utilisé. De plus, plus que toute autre, elle nécessite beaucoup de patience et de retenue pendant la phase d'acquisition des invertébrés et des poissons. Pour ces diverses raisons et malgré les résultats indiscutables enregistrés avec cette technique au Centre de Biologie Marine de l'Université de Nice-Sophia Antipolis, à l'Observatoire Océanologique Européen de Monaco, et au Musée Océanographique de Monaco, l'installation de ce système me semble difficilement conseillable à des aquariophiles non expérimentés.


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